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24 septembre 2021

Une start-up biotech pour colorer la vie sans la polluer

 Innovation 

Jérémie BLACHE (PGE 2015)
CEO Founder PILI

Rapidement, quel est votre parcours Jérémie ?

Après un bac ES et une prépa éco, j'ai intégré TBS où j'ai listé BDA (Bureau des Arts) en première année avant de rejoindre le parcours Finance en M1 puis Finance d'entreprise en M2. Après un premier stage dans l'industrie musicale, j'ai préféré me réorienter en finance pour mieux comprendre le fonctionnement de tout type d'entreprise.

 

Qu’est-ce que Pili ? Comment est-elle née et comment en avez-vous eu l’idée ?

Durant une césure d'un an où j'ai eu la chance de réaliser deux stages en banque d'investissement très formateurs, j'ai découvert une association développant des projets scientifiques collaboratifs. C'est là que j'ai rencontré mes futurs associés qui avaient créé un atelier pédagogique illustrant comment produire de l'encre à partir de sucre et de bactéries en utilisant la fermentation. Suite à plusieurs articles dans la presse et des rencontres avec deux entreprises intéressées par le concept, nous avons décidé de participer à un concours de création de startup spécialisé dans les biotechnologies. L'objectif initial était de vendre des stylos contenant une encre biosourcée. Recevoir un prix de ce concours m'a convaincu de me lancer à plein temps dans l'aventure. 6 mois après nous rejoignons un accélérateur de startup biotech qui fut notre premier investisseur officiel.  C'est à ce moment que la structure juridique a été créée. La mission de PILI fut officiellement de produire des colorants et pigments biosourcés pour les secteurs les plus polluants utilisant ces produits, le textile en tête.
6 ans après sa création, la société compte 25 Pilistes répartis sur trois sites (Toulouse, Lyon, Paris) et a investi 10m€ pour révolutionner la production mondiale de couleur avec des procédés plus écologiques.

D’où vient le nom de Pili ?

PILI est le pluriel de pilus qui désigne une sorte de poil ou de bras utilisé par certaines bactéries pour échanger des informations génétiques et donc s'adapter à leur environnement. Nous aimons rappeler avec ce nom que ce sont les collaborations entre humains et non humains qui nous permettront de faire face aux enjeux climatiques du siècle. Je vous invite à consulter la page play de notre site internet pour plus de contenu sur la vie extraordinaire des microbes avec qui nous collaborons au quotidien.

Que pouvez-vous nous dire de la pollution que constitue l’industrie de la couleur ?

L'industrie de la couleur utilise des coproduits de l'industrie du pétrole et du charbon comme matière première, ensuite les industries de chimie lourde modifient ces matières premières avec des procédés très énergivores (températures allant de 300 C° à 0 C° pour certaines réactions) et impliquant de nombreux produits dangereux et toxiques comme l'acide sulfurique ou le benzène en très grande quantité. Ces produits génèrent des déchets qui sont souvent mal traités, parfois tout simplement relâchés dans l'environnement lorsque les zones de production sont peu contrôlées. En moyenne, une tonne de colorant fossile (99,9% des produits aujourd'hui) émet 15 à 30 tonnes d'équivalents CO2. La technologie PILI devrait permettre de diviser ces émissions par 5 à 10.


En quoi Pili est-elle une solution innovante ? Comment des bactéries peuvent-elles fabriquer des pigments ?

En fait, les bactéries ne produisent pas les pigments mais la matière première qui remplace celle actuellement issue du pétrole ou du charbon. On appelle cela des intermédiaires chimiques. Ils sont aujourd'hui produits à plus de 90% dans deux pays, la Chine et l'Inde. Ensuite, nous utilisons des procédés de chimie organique respectant le plus possible les 12 principes de la chimie verte pour transformer ces intermédiaires biosourcés produits par fermentation et créer des couleurs renouvelables émettant moins de CO2 que leurs versions fossiles. Les disciplines scientifiques impliquées dans ces innovations sont la biologie moléculaire (biologie de synthèse), le génie des procédés et la fermentation, la chimie analytique, la chimie organique et la formulation. 

Vous me disiez que vous n’avez pas été impactés par la crise du covid parce que vous n'avez pas encore de chiffre d’affaires, mais peut-être avez-vous dû modifier votre façon de travailler ?

A l'exception des deux premiers mois de fermeture en mars-avril-mai 2020, nos partenaires publics et privés ont pu continuer à travailler normalement, les pénuries de certains consommables de laboratoire ont été plutôt rares. N'étant pas propriétaires des laboratoires où nous travaillons, nous n'avons eu qu'à suivre les consignes sanitaires sans prendre la responsabilité de leur mise en place. Nos équipes ont télétravaillé lorsque c'était possible. Nous avons totalement arrêté de rencontrer des clients en physique, les visio se sont généralisées sans encombre. La fréquence des échanges avec les clients a même augmenté grâce à l'organisation de rdv plus facile et rapide.

 

Selon vous, la crise du covid a-t-elle eu un impact sur les mentalités (prise de conscience d’un réel problème économique, industriel et écologique à l’échelle mondiale)? Est-ce un effet de mode ou un réel changement qui s'opère ?

La crise du covid a eu un impact avéré sur la prise de conscience du dérèglement climatique, les entreprises allouent plus de ressources qu'avant à la recherche de biens et services plus écologiques, de manière inégale et plus ou moins efficace bien sûr. Nous ne pouvons plus parler d'effet de mode, le changement engagé sera profond et durable mais sera-t-il assez rapide ? Trop de "greenwashing" est encore à déplorer, notamment dans les secteurs les plus impliqués dans les émissions comme la finance, les transports et l'énergie. Autre élément notable, les législations ne sont pas assez radicales, les preuves se multiplient, on peut citer la dernière tribune du Monde signée par 150 dirigeants de marques textiles françaises qui appellent à une régulation plus forte de leur propre secteur pour que les plus engagés ne soient pas pénalisés et que toutes les marques payent les coûts environnementaux de leur activité. Il est rageant de lire encore "Aujourd'hui, plus une entreprise pollue, moins sa production lui coûte cher et plus elle est compétitive". Une autre initiative, plus transverse, qu'on peut également citer est la Convention des entreprises pour le climat (CEC) que j'ai rejoint récemment et dont l'objectif est de constituer un réseau d'entreprises qui œuvreront, non pas contre - comme certains lobbys sont accusés de le faire - mais pour la régulation climatique.

Qui sont vos clients ? Comment ont-ils été impactés ?

Nos clients peuvent être rassemblés par grandes familles d'applications : textiles, peintures, encres et plastiques et divisés en deux catégories, usines et marques.
A ma connaissance, le secteur le plus impacté par la crise a été celui du textile. D'autres secteurs, en lien avec le bricolage, la construction ou le packaging, ont parfois été avantagés.

 

Comment envisagez-vous l’avenir dans le monde de l’industrie textile ? Est-ce que la période qu’on vient de traverser va nous donner des idées, de nouvelles contraintes ?

Je souhaite que la période que nous venons de traverser nous permette de sortir courageusement du "Business as Usual" (BAU). Il est pour moi prioritaire de fixer de nouvelles contraintes aux entreprises, soutenues par les citoyens et mises en application par les élus. La difficulté c'est l'échelle car la France peut difficilement changer seule les normes internationales et ne doit pas sacrifier une partie de sa compétitivité sans garantie de changements profonds et planétaires. Il faut probablement agir de concert au niveau national et européen. De manière intéressante, on observe quand même que l'industrie textile européenne relocalise certaines productions. Ces usines font parfois appel à la robotique pour automatiser le plus de tâches possibles. Une usine de Jean est ainsi en train de sortir de terre en Allemagne, en France toujours dans le jean on peut citer la marque 1083 qui est une belle réussite de relocalisation. Dans le Nord de la France, un projet de réindustrialisation de filature a été annoncé en 2021 pour une ouverture en 2022, il doit y avoir une bonne dizaine d'exemples comme ceux-ci rien que pour la France. Il est impossible de savoir jusqu'où ira cette dynamique. Elle ne concernera peut-être que des volumes négligeables, l'avenir nous le dira. Tant que les entreprises ne seront pas obligées de tenir une comptabilité extra-financière rigoureuse, polluer risque de rester plus rentable que de faire sa part. Les investisseurs et gestionnaires d'actifs, tenus par leur responsabilité fiduciaire vis-à-vis des épargnants, restent souvent pour l'heure les gardiens d'un système qui place la rentabilité au-dessus de la lutte contre le dérèglement climatique. Sûrement nous faudra-t-il opérer quelques révolutions - dont celle de l'épargne - pour changer de trajectoire climatique. Je conseille à ce sujet la lecture de "L'illusion de la finance verte" d'Alain Grandjean et Julien Lefournier paru en mai dernier.




 

Auteur

Curieuse et enthousiaste, je suis actuellement étudiante en Master à TBS Education. Actuellement, en année de césure, j'effectue un stage de 6 mois en Marketing Produit chez Kinéis.

Je me plais à évoluer dans des milieux challengeants aux projets innovants et prometteurs comme je peux l'expérimenter actuellement chez Kinéis. Très sociable, j'aime travailler en équipe et apprendre ne me fait pas peur. Bien au contraire, c'est ce qui me motive. Voir les 2 Voir les autres publications de l’auteur(trice)

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