La gestion du capital humain devient une question d’agilité
Charlotte Santet [TBS Education 2018]
Charlotte, Manager Capital Humain chez Deloitte Conseil, est en première ligne de la transformation RH des grandes entreprises depuis six ans. Diplômée d'un master en Ressources Humaines à TBS Education, elle a intégré le cabinet leader du conseil directement après ses études. Depuis, elle accompagne les directions RH de grandes organisations, certaines gérant plusieurs milliers de collaborateurs à travers le monde. Son expertise ? Aider ces entreprises à optimiser la gestion de leur capital humain, en adaptant leurs pratiques et structures aux évolutions technologiques, sociales et économiques. La crise du Covid-19 a accéléré ces changements, révélant de nouveaux défis auxquels Charlotte s'efforce de répondre avec agilité et innovation.
Le Covid a-t-il accéléré la transformation des ressources humaines ?
La crise du Covid-19 a pris de court de nombreuses entreprises. En l'espace de quelques jours, elles ont dû adapter leurs opérations et permettre à une grande partie de leurs collaborateurs de travailler à distance.
Si certaines avaient déjà amorcé leur transition numérique et commencé à réfléchir à ces enjeux, pour beaucoup, cela a représenté un défi immense.
Néanmoins, il est important de rappeler que bien avant cette crise, elles cherchaient déjà à digitaliser certains processus RH tels que les revues de rémunération, les entretiens annuels et la gestion des plans de carrière. Ces domaines, profondément liés à la technologie, sont aujourd'hui au cœur de l'accompagnement RH que nous leur offrons.
La manière dont nous accompagnons ces entreprises dans leurs projets de digitalisation, la gestion des projets, l'approche adoptée et le soutien offert ont également évolué, reflétant les nouveaux défis et besoins apparus au cours de cette période.
L’intelligence artificielle avance rapidement et promet à la fois de créer et de détruire de nombreux emplois. Comment les entreprises vont-elles adapter leur stratégie RH face à cette révolution ?
C’est un enjeu majeur pour nos clients. L’intelligence artificielle (IA) constitue indéniablement une révolution technologique et, comme tout avancée de cette ampleur, elle suscite de nombreuses craintes.
Mais en réalité, cette révolution n'est qu'une continuité. Les machines font partie de nos environnements professionnels depuis longtemps, elles évoluent par vagues successives et les entreprises apprennent à les surfer. Elles anticipent ces bouleversements, investissent dans des formations pour répondre aux besoins futurs et intègrent cette réflexion dans leurs stratégies de développement. Ce qui distingue l’IA, c’est l’ampleur de l’auto-formation qu’elle exige. Face à la rapidité de ses progrès, chacun doit faire face à une question délicate : à quelle vitesse suis-je prêt à accepter que mes compétences deviennent obsolètes ? Cette transformation ne se limite pas à une adaptation collective au sein des entreprises ; elle doit également être vécue à un niveau individuel. Il s’agit de savoir à quel rythme chacun est capable de s’adapter et de rester pertinent dans un monde en perpétuelle évolution.
Dans votre métier, l’IA est-elle présente ?
Absolument. Chez Deloitte, nous avons développé un outil interne d’intelligence artificielle qui transforme notre manière de travailler. Cet outil m’apporte un gain de temps considérable. Je l’utilise notamment pour générer des notes de réunion, rédiger des synthèses et traiter diverses tâches répétitives et chronophages. C’est un assistant virtuel extrêmement efficace, qui permet de se concentrer sur des missions à plus forte valeur ajoutée. L’outil développé en interne nous permet aussi de protéger nos données des solutions grand public comme OpenAI, Google ou autre GenAI similaire. L’IA, dans notre secteur comme ailleurs, n’est pas une fin en soi mais un moyen. Elle libère du temps, améliore l'efficacité et permet une meilleure prise de décision. Chez Deloitte, nous accompagnons nos équipes et nos clients pour qu’elles sachent exploiter pleinement ces nouveaux outils et soient à l’aise dans cette transformation. C’est une manière de démontrer que l’IA peut être une alliée puissante pour accroître la productivité, sans pour autant supprimer l’aspect humain, indispensable à la créativité et à l’innovation.
"Face à la rapidité de ses progrès, chacun doit faire face à une question délicate : à quelle vitesse suis-je prêt à accepter que mes compétences deviennent obsolètes ?"
Plus largement, qu’est-ce qui évolue dans la gestion du capital humain aujourd’hui ?
Le changement majeur qui émerge dans la gestion des ressources humaines est la montée en puissance des « Skill-Based Organisations », ou organisations basées sur les compétences.
C’est probablement l'un des sujets les plus stratégiques dans les RH actuelles et il est directement lié aux attentes des nouvelles générations vis-à-vis du travail. Ces jeunes professionnels ne se contentent plus d'une progression linéaire, verticale ; ils aspirent à une mobilité transverse, cherchant des opportunités de développement à la fois horizontalement et verticalement au sein des organisations.
Le mot d’ordre pour cette génération est simple : 'tout sauf l’ennui'. Cela signifie qu’ils recherchent des expériences variées et souhaitent éviter la monotonie d’une spécialisation excessive. Ce besoin de diversité les pousse à vouloir évoluer d’un poste à l’autre en développant des compétences transversales qui deviennent alors un atout clé.
Les organisations qui prennent en compte ces nouvelles dynamiques sont souvent plus attractives pour les candidats. Elles se distinguent par leur capacité à offrir des parcours variés, à rompre avec la rigidité des anciennes structures hiérarchiques et à miser sur le développement des talents de façon plus flexible. Cette approche met également en avant une redéfinition du rôle des managers qui doivent encourager la mobilité interne et la polyvalence au sein de leurs équipes.
"La montée en puissance des « Skill-Based Organisations » est directement lié aux attentes des nouvelles générations vis-à-vis du travail."
En somme, la gestion du capital humain devient une question d’agilité : il ne s’agit plus seulement de recruter et de fidéliser, mais de créer des environnements où les compétences évoluent au rythme des aspirations des collaborateurs, permettant ainsi à l’entreprise de rester compétitive et innovante dans un monde en perpétuelle mutation.
Cette volonté de ne pas s’enfermer dans un savoir-faire, est-ce une quête de liberté ?
Je pense qu’on s’en rapproche doucement en effet. Les jeunes générations refusent d'être étiquetées ou enfermées dans une case. Pour beaucoup d’entre eux, un CDI, autrefois symbole de stabilité, est désormais perçu comme une contrainte. La précarité, loin de les effrayer, est vue comme une forme d’indépendance. Là où un CDD pouvait être considéré comme un manque de confiance, il est aujourd’hui perçu comme une liberté supplémentaire, permettant d’explorer différents horizons sans s’engager à long terme.
Cette quête d’autonomie reflète un renversement des rapports de force sur le marché du travail. Les jeunes sont bien informés, connaissent leur valeur et n’hésitent pas à poser des exigences, y compris en matière de rémunération. Ils privilégient la diversité des expériences à la stabilité traditionnelle, obligeant les entreprises à repenser leurs pratiques pour s’adapter à cette nouvelle mentalité.
Comment cet état d’esprit cohabite-t-il avec des conceptions plus anciennes du lien au travail et à l’entreprise ?
Cette cohabitation peut parfois être délicate. Je me souviens d’un manager, pendant le Covid, qui avait réagi à des jeunes désemparés en leur disant : « Ne vous plaignez pas, vous avez la chance d’avoir un travail. » Cette réponse a été mal accueillie, illustrant un fossé dans la compréhension des attentes. Ce type de discours, ancré dans une vision plus traditionnelle, est aujourd'hui inacceptable pour les jeunes.
"Les jeunes générations refusent d'être étiquetées ou enfermées dans une case."
Il me semble que ma génération joue souvent un rôle de médiation entre ces deux perspectives. Nous avons la capacité de comprendre les préoccupations des plus jeunes tout en traduisant leurs attentes aux plus anciens. Par exemple, leur demande de responsabilités immédiates ou de promotions peut être interprétée comme de l’impatience, alors qu'elle reflète plutôt une grande curiosité et un désir d’engagement.
Ce travail de communication est essentiel pour réduire le malentendu entre les générations. Il s’agit de trouver un terrain d’entente, où les valeurs d'engagement et de responsabilité des jeunes peuvent être mieux comprises et intégrées par des managers habitués à des normes plus anciennes. Cette dynamique peut conduire à une évolution positive des pratiques de travail au sein des entreprises.
Propos recueillis par Anne Lafont (TBS Education 1988)
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