Nous sommes tout à la fois sur du temps long et sur une urgence à faire évoluer nos modes de vie.
Norbert COUDON [TBS Education 1987]
Directeur régional énergies renouvelables et secteur public, Crédit Agricole Leasing & Factoring
Norbert travaille depuis plus de 10 ans dans une filiale du Crédit Agricole, Crédit Agricole Leasing & Factoring. Il est en charge des financements structurés d’actifs sur deux champs : les infrastructures et la transition énergétique, au sens large. Plus particulièrement, il est concentré depuis 7 à 8 ans sur des projets de production d’énergie renouvelable : solaire, éolien et biomasse.
En quoi les projets que tu finances sont-ils sobres ou contribuent-ils à la sobriété ?
Financer des parcs éoliens, solaires, hydroélectriques ou des centrales biomasse permet de décarboner la production d’énergie qui représente les ¾ des émissions de gaz à effet de serre.
Par ailleurs, nous travaillons sur des projets d’infrastructures « vertes », pilotés par les collectivités territoriales.
Ainsi, la création de réseaux de chaleur et chauffage urbain qui fonctionnent à 80% ou 90% avec de l’énergie verte permet à des entreprises, des commerces, des associations, des particuliers de se raccorder à ces réseaux, et
d’accéder à un prix de l’énergie compétitif et plus stable que ceux du gaz par exemple.
Nous intervenons également sur des projets de recyclage de déchets, avec une logique de ne plus seulement incinérer les déchets, mais de valoriser la chaleur émise pour produire de l’électricité.
Comment positionnes-tu ton activité par rapport à l’environnement et la sobriété ?
Les enjeux de décarbonation sont très prégnants, surtout dans le secteur de l’énergie. Aujourd’hui, les émissions de gaz à effet de serre dans le monde proviennent à hauteur de 75% de la production d’énergie et en Europe, l’électricité produite est à 60% carbonée (Gaz, charbon, …). Même si la France a (ou avait) donc une longueur d’avance en matière de décarbonations de la production d’énergie, grâce à son parc nucléaire, notre mix énergétique doit évoluer et faire encore plus de place aux énergies renouvelables.
En 5 ans, à horizon 2028, la production d’énergie renouvelable doit doubler ; nous sommes face à un volume d’investissements considérable, de plus de 10 Mds€ par an, qu’il faut financer.
D’autres enjeux sont aussi présents sur le secteur du transport, de l’industrie, du logement…
Comment définis-tu la sobriété et quelles en sont les conséquences sur ton business ?
La sobriété énergétique est un sujet multifactoriel, avec une dimension individuelle, collective, sociétale, organisationnelle.
Les évolutions induites concernent la mobilité, l’éclairage public, les processus de production, industriels ou agricoles et vont impacter tous les acteurs de la société, citoyens, entreprises, collectivités, administrations, qui devront être accompagnés, en conseil et en financement.
Nous sommes sans doute plutôt dans une sobriété contrainte que choisie
Comment analyses-tu la baisse de la consommation électrique française enregistrée fin 2022 ?
Lors des alertes sur les risques de coupure, 4 foyers sur 10 ont réduit leur consommation d’électricité. Par ailleurs, cinq Français sur 10 ont également réduit leurs déplacements sur les six derniers mois.
On a du mal à juger si ces évolutions sont liées à l’inflation / à un effet prix ou à une prise de conscience de nos modes de fonctionnement, mais nous sommes sans doute plutôt dans une sobriété contrainte que choisie. C’est certainement le début d’un processus avec certains segments
de population qui sont pleinement rentrées dans cette sobriété alors que d’autres y seraient plus adverses.
Les ENR iraient-elles à l’encontre de la sobriété ? Les populations pourraient-elles se dire que, l’énergie étant propre, plus besoin de restreindre sa consommation ?
C’est vrai, le débat a été ouvert lors de la mise en place du bouclier tarifaire : l’effet prix n’étant plus dissuasif pour faire évoluer les comportements. Un effet rebond de consommation pourrait se créer. Pour atteindre l’objectif 2050 de décarbonation totale de nos économies, il va falloir travailler sur tous les champs : à la fois sur la production d’énergie, sur la mobilité, sur l’efficacité énergétique des bâtiments. Il ne faut pas oublier que les principaux postes de l’impact Carbonne d’un foyer sont le transport pour 30%, l’habitat pour 23%, l’alimentation pour 23% .
Nous sommes tout à la fois sur du temps long et sur une urgence à faire évoluer nos modes de vie.
Assistons aussi à un effet greenwashing sur la sobriété ?
Regardons d’abord les démarches concrètes et les résultats positifs.
Beaucoup de banques mettent en place des systèmes de notation des investissements intégrant la dimension environnementale, sociétale et énergétique.
Beaucoup d’entreprises réfléchissent à leur approvisionnement en énergie et cherchent à être elles-mêmes productrices d’énergie plutôt que de l’acheter. C’est à la fois un élément d’indépendance, de souveraineté, et de maitrise financière. Il est ainsi possible d’installer des panneaux photovoltaïques par exemple sur des parkings, sur des toitures, des friches industrielles ou en bordure d’autoroutes.
Il y a sans doute une tentation du greenwashing, mais aujourd’hui tous les acteurs développent une grille de lecture et d’analyse des enjeux climatiques et environnementaux, jouer cette stratégie serait très « court termiste ».
Quels cas d’applications concrètes vois-tu dans le quotidien de ton secteur ?
Aujourd’hui, pour l’octroi de financements, beaucoup de banques mettent en place des systèmes de notation des investis-
-sements concernés avec des grilles d’analyse intégrant la dimension environnementale, sociétale et énergétique.
L’objectif est de flécher-prioriser le financement de ces investissements et, parfois, de mettre en place une bonification des conditions de taux d’intérêt de ces projets.
Un dernier point à ajouter Norbert ?
C’est sans doute une vision un peu autocentrée de financier, mais la dimension économique de la transition énergétique me semble incontournable. On dépense actuellement 1000 milliards de dollars pour financer la transition énergétique; Il va falloir dépenser 4 fois plus pour tenir notre objectif de décarbonation. Une contrainte financière va s’exercer ; des leviers de financements devront être trouvés et des arbitrages budgétaires faits.
Autre point, nous voyons un développement de l’économie de l’usage. Le mode fonctionnement historique basé sur la propriété laisse place davantage à une valeur d’usage. Des exemples sont déjà manifestes pour les véhicules (développement de la location), pour les locaux (coworking), les matériels (prêts), les vêtements (occasion).
Propos recueillis par Romain LANUSSE-CROUSSE TBS Education 2008
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