Des organisations en pleine mutation pour faire face aux défis sociétaux.
Disruptives, radicales, etc. Les qualificatifs ne manquent pas pour décrire les évolutions sociétales majeures que nous connaissons actuellement, avec la crise climatique, l’essor de l’intelligence artificielle et des enjeux d’inégalité sociale. Pour faire face à ces défis complexes, l’entreprise de demain sera hybride ou ne sera pas.
L’hybridation porte sur le lien qui unit les travailleurs aux organisations (salariés ou indépendants) et sur l’aménagement du travail (mix présentiel/distanciel). La contribution faite à une organisation ne s’opère plus nécessairement dans le cadre du salariat. Différents statuts co-existent : micro entrepreneurs, travailleurs indépendants, entreprises prestataires. Les organisations gagnent en souplesse et en flexibilité en recourant à des travailleurs en fonction de leurs besoins uniquement.
Les défis sociétaux appellent également des stratégies d’innovation dans les organisations, qu’on peut appréhender comme des adaptations incrémentales ou radicales donnant lieu ou pas à des formes d’innovations multiples (produit, service, process, etc.).
C’est la fameuse destruction créatrice de Schumpeter, qui pointait cette mutation industrielle permanente, dont il voyait l’accélération au début du siècle avec l’industrie manufacturière, mais avec la prédiction du remplacement des entrepreneurs par des grandes entreprises. Quid de l’époque actuelle, sommes nous à l’ère d’une telle transformation analogue dans les entreprises, tenues de s’adapter continuellement en innovant face aux enjeux de transition ?
"Les défis sociétaux appellent des stratégies d’innovation dans les organisations, qu’on peut appréhender comme des adaptations incrémentales ou radicales."
Oui si l’on observe l’accélération des pratiques d’innovation des entreprises, bien au-delà du domaine réservé de la recherche et développement ou du marketing. L’innovation protéiforme est fortement promue à tous les niveaux de l’entreprise mais aussi dans ses relations avec ses différentes parties prenantes. On parle d’innovation ouverte, participative, etc.
Cette nécessaire innovation questionne le repositionnement des acteurs dans le cadre d’une innovation organisationnelle plus globale. Le processus d’innovation nécessite de repenser les compétences, la formation des salariés, la distribution des responsabilités et la structuration de la prise de décision, ou encore l’intégration de partenaires ou de clients dans de nouveaux schémas d’interactions.
Donnelly et Johns (2021) considèrent d’ailleurs que la réorganisation et la recontextualisation du travail génèrent des opportunités et des challenges pour de nombreux acteurs. Quel que soit le défi, c’est la connaissance créative porteuse de valeur ajoutée qui fera la différence, en particulier lorsqu’il s’agit de résoudre des problèmes inattendus, complexes, etc. Cette connaissance vivante est portée, nourrie et partagée par des humains même si ces acteurs clés peuvent s’appuyer sur des intelligences artificielles. C’est bien l’humain qui est central, au sein d’équipes, de collectifs dans les organisations. De fait, les organisations sont de plus en plus dépendantes de ressources humaines talentueuses, en particulier ceux très qualifiés, pour soutenir leurs stratégies d’innovation (Laviolette, Redien-Collot et Teglborg, 2016).
Par cette dépendance, les organisations s’évertuent à développer des nouveaux dispositifs, structures, etc. pour attirer, retenir et développer les talents. Il ne s’agit plus de les capter et de les enfermer mais de permettre de se développer au sein mais aussi en dehors de l’organisation. Leur mobilité et leur circulation semble être clé, en accord avec des stratégies d’innovation de plus en plus ouvertes sur leur environnement technologique, social, etc. On évoque très fréquemment la notion de marque employeur et d’expérience collaborateur (Diard et al., 2023). De fait, ce sont des nouvelles formes de relations qui se dessinent entre l’organisation et le travailleur talentueux. Ces derniers négocient leur engagement avec l’entreprise, tel des entrepreneurs proposant leurs prestations sur une période délimitée, en gardant une certaine autonomie et une flexibilité dans l’organisation de leur travail.
"C’est bien l’humain qui est central, au sein d’équipes, de collectifs dans les organisations."
L’innovation repose également sur des compétences clés. La pérennité de l’entreprise repose parfois sur ce que l’on définit comme des « hommes clés ». Michel (2001) définit « l’Homme clé » comme faisant référence aux compétences stratégiques, fondamentales, ou plus simplement importantes des salariés ; également à leur réussite dans des fonctions importantes et dont la démission ou la disparition causerait un préjudice important à leur entreprise. Son départ peut mettre en péril l’entreprise. Certains salariés de l’entreprise sont détenteurs de connaissances, de relations professionnelles ou de compétences managériales qui leur permettent de contribuer de manière importante à l’activité de l’organisation. Leur perte, du fait d’une démission ou d’un décès, peut gravement nuire à l’entreprise (Ferray, 2014). Ils jouent un rôle économique déterminant dans le fonctionnement de l’entreprise, dans son développement et dans la structuration de l’innovation.
"Ce sont des nouvelles formes de relations qui se dessinent entre l’organisation et le travailleur talentueux."
Quand on parle d’innovation et de son incarnation, c’est souvent à l’entrepreneur qu’on fait référence. Celui qui introduit la nouveauté et la diffuse. De fait, à l’heure où l’innovation revient en force dans les organisations soumises à des transformations importantes, c’est une forme de réhabilitation de cette figure sociale (car il n’agit jamais seul), au cœur de l’organisation par des dispositifs qui permettent aux salariés de devenir entrepreneurs et/ou de collaborer avec eux via des incubateurs, etc. Ces dispositifs visent à développer les softs skills que l’on retrouve chez les entrepreneurs : la communication, la résolution de problème, la pensée critique, la collaboration et l’adaptabilité. Ce sont des compétences qu’on peut développer à travers des pratiques (créativité, prototypage, lean start-up, design thinking, etc.) en plein développement dans les organisations, souvent à travers des programmes d’apprentissage expérientiels (Delanöe Gueguen, Gueguen et Laviolette, 2023).
"Dans un monde hybridé, chaque individu devient l’entrepreneur de son propre parcours."
De fait, si toutes les entreprises ne développent pas des dispositifs aussi élaborés, on assiste à une forme d’« entrepreneurialisme » (Dejardin et Luc, 2016) des organisations qui ont largement adopté ses discours et ses pratiques. De fait, une nouvelle forme de relation avec ses travailleurs, plus individualisée, plus autonome, plus délimitée dans le temps, plus flexible et plus axée sur la performance.
La relation managériale évolue vers davantage de confiance, de délégation et d’autonomie (Diard, Hachard, 2021). Dans un monde hybridé, chaque individu devient l’entrepreneur de son propre parcours. L’encadrement réglementaire de la formation professionnelle continue va d’ailleurs dans ce sens avec la volonté que les salariés soient « acteurs » de l’évolution de leurs compétences et en garde la maîtrise (grâce notamment au CPF). Les carrières ne sont plus linéaires et parfois il faut être en mesure de prendre des risques, d’innover, de se réinventer pour évoluer dans un monde devenu incertain. Les collaborateurs développent les habiletés autrefois dévolues aux entrepreneurs. Agilité, identification des risques (Diard et Lasmoles, 2019), aptitude à développer des plans de continuité mais également une forme de résilience, permettront aux collaborateurs/entrepreneurs de construire les organisations futures.
Alors que Schumpeter prédisait la fin de l’entrepreneur, assistons-nous à un retour de l’entrepreneur au sein des organisations existantes face aux transitions majeures de notre société ?
Auteurs Caroline DIARD & Michael LAVIOLETTE
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