Engager pour transformer
Bernard Coulaty [TBS Education 1986]
Bernard a été pendant plus de 30 ans DRH en France, puis en Europe et en Asie, pour de grands groupes français à dimension internationale (Danone, Pernod Ricard). C’est aujourd’hui un expert reconnu des stratégies d’engagement et de transformation RH. Auteur de plusieurs ouvrages sur cette thématique, « Engagement 4.0 » et plus récemment « Engager pour transformer » en 2024, il revendique sa différence, quitte à bousculer la doxa du management des ressources humaines.
Interrogé sur une potentielle nouvelle culture du travail, il nous confirme un que le rapport au travail a changé avec une accélération notoire à l’issue de la pandémie, notamment en lien avec le déploiement massif du télétravail en situation de crise et toutes ses conséquences en matière de relations humaines…
"Le rapport au travail a changé avec une accélération notoire à l’issue de la pandémie."
Ayant pu observer sur une longue période le rapport au travail des salariés du secteur privé, il note une inflexion récente et parfois pleine de paradoxes dans les aspirations des jeunes générations (- de trente ans) aussi bien que des seniors (+ de 50 ans) dont les désirs se rejoignent à bien des égards. Ainsi, beaucoup de salariés rêvent aujourd’hui de trouver un sens à leur vie hors travail, en toute liberté comme peuvent le permettre les outils de travail à distance.
Dans le même registre, ils rejettent tout mode de management vertical au profit de plus d’autonomie et de flexibilité dans leur pratique du travail.
Selon Bernard, cette posture révèle une nouvelle donne à laquelle il ne faut pas répondre à la légère. En effet, si certains éléments comme le télétravail ou la qualité de vie au travail sont à prendre en considération dans la gestion de la marque employeur, l’essentiel est ailleurs, dans un engagement en profondeur basé sur des valeurs plus que sur des artifices. Il faut, pour les entreprises, mener une politique RH de long terme sur un socle d’engagements fondamentaux tout en pratiquant une nécessaire flexibilité…
"L’essentiel est ailleurs, dans un engagement en profondeur basé sur des valeurs plus que sur des artifices."
Par ailleurs, on veut tout aussi paradoxalement, et particulièrement en France, développer la diversité dans l’entreprise tout en alignant l’ensemble des salariés sur des nécessaires accords collectifs qui ne permettent pas toujours une gestion personnalisée des collaborateurs. Nous sommes pourtant tous différents au regard de notre autonomie, de notre rapport au management, de nos besoins de vie sociale…Il est donc nécessaire d’adapter le management en ayant une connaissance fine de ses équipes tout en prenant en compte les intérêts de l’entreprise et de travailler sur l’acceptation des différences.
Ainsi au regard du télétravail certains collaborateurs sont très autonomes, d’autres ont besoin d’être coachés, les jeunes générations fonctionnent en mode hybride/nomade… Il est donc nécessaire de bien comprendre les métiers et ceux qui les exercent pour avoir une approche personnalisée en fonction des typologies de postes et des « moments de travail » (collectif, individuel). Le télétravail est devenu incontournable mais il faudra l’utiliser à bon escient pour créer de l’agilité plutôt que de gérer le carcan d’un droit acquis.
Bernard estime même qu’il pourrait être accordé « au mérite », en en faisant un facteur de différenciation et de reconnaissance de l’engagement individuel. Ces phénomènes se concrétisent également dans une inversion des rapports de recrutement. « Aujourd’hui c’est l’entreprise qui est candidate » constate Bernard. On est loin des générations où l’on s’oubliait un peu soi-même pour « faire carrière ».
« Aujourd’hui c’est l’entreprise qui est candidate. »
La réponse au nouveau rapport de force entre recruteurs et futurs salariés est souvent superficielle et opportuniste. La traduction du « bonheur au travail » déployée au travers de politiques de Qualité de Vie au Travail souvent purement cosmétiques est une escroquerie :
« Ce n’est pas en organisant des afterwork convenus et infantilisants ou en installant un baby- foot que l’on mène une politique Ressources Humaines ! » Pas plus d’ailleurs qu’en maximisant les jours de télétravail ou en en majorant les salaires, même les perspectives de promotion ne font plus recette auprès de candidats de plus en plus volatiles…
"Le cœur du réacteur est en réalité dans la cohérence entre l’engagement de l’entreprise et l’engagement personnel…"
Mais pour établir les bases d’un nouveau contrat d’engagement avec les salariés, l’entreprise a besoin d’un certain temps dont elle ne dispose pas toujours. En effet les jeunes embauchés ne cherchent plus à faire carrière dans une même entreprise et sont extrêmement volatiles passant d’une structure à une autre en début de parcours ou même par l'entrepreneuriat, dont le ticket d’entrée est facilité dans notre ère numérique.
À cet égard, Bernard cite une réflexion de Richard Branson qui lui paraît extrêmement pertinente :
« Formez les gens suffisamment bien pour qu’ils puissent partir, traitez-les suffisamment bien pour qu’ils ne le veuillent pas ! » Il ne faut donc pas s’acharner à retenir les salariés mais créer les conditions pour qu’ils restent avec un management et un projet d’entreprise inspirants.
L’essentiel pour une entreprise est donc de travailler sa marque employeur dans la durée et en profondeur pour bâtir une politique RH robuste et flexible à la fois, qui donne du sens à l’action de l’ensemble de la chaîne managériale tout en testant, prudemment, les nouvelles opportunités ouvertes par l’hybridation du travail : semaine de 4 jours, congés de « respiration », télétravail depuis le lieu de vacances…
En d’autres termes, la fonction ressources humaines est une nouvelle fois appelée à se réinventer sans transiger sur le fond… Un beau challenge, dans lequel s’inscrivent pleinement les travaux de Bernard !
Propos recueillis par Pierre Souloumiac (TBS Education 1988)
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