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02 juin 2022

De la proximité managériale locale à l’esprit de convivialité international

De Paris à Hong Kong, Bernard a connu plusieurs vies de DRH sur une même fonction régionale : d’un management corporate pour piloter la grande Europe à du management terrain où l'adaptation à chaque culture locale s’est avérée fondamentale. Retour sur son expérience en Asie qui lui a permis de connaître 22 versions différentes de l’international.


Bernard Coulaty
TBS 1986
Ancien DRH International, Professeur de leadership à l’IÉSEG School of Management

 

Est-ce que tu peux nous décrire ton parcours ?

Diplômé de Sup de Co Toulouse en 1986, j’ai suivi en parallèle un Master 2 en RH à Aix-en- Provence. J’ai commencé chez Danone en tant que Responsable RH de différents sites industriels : 10 ans d’expérience terrain avec en toile de fond les relations sociales « à la française ». En 2001 j’ai intégré le groupe Pernod Ricard sur des fonctions de DRH international. Tout d’abord au siège en France, j’avais la responsabilité de la zone Europe élargie. Puis j’ai été expatrié à Hong Kong en 2009 pour coordonner l’ensemble de la zone Asie (Chine, Inde, Japon, Corée et pays du Sud-Est asiatique). Si à Paris il était possible de coordonner les filiales autour d’une même politique, la réalité était tout autre en Asie. Les différences culturelles sont trop importantes pour trouver un alignement, sans parler du choc des distances (6h minimum d’un pays à un autre contre 2h en Europe). 

 

 

L’engagement des Français expatriés impressionne les locaux en général

 

Cela demande un management de proximité et donc beaucoup d’énergie à consacrer à chaque pays. J’ai ensuite quitté le monde de l’entreprise pour me consacrer au conseil en Ressources Humaines, en particulier dans le domaine de l’engagement au travail, d’abord en 2016 à Hong Kong pour accompagner les entreprises françaises sur place, puis de retour en France en 2019. Depuis, je partage mon temps entre une activité de consultant indépendant dans ces domaines et de professeur de leadership à l’IESEG School of Management que j’ai rejointe en 2020.

 

Y-a-t-il selon toi une « French Touch » du leadership ? 

En France, le management se fait en proximité avec ses équipes ; en Asie il est important de garder une certaine distance même s’il existe des disparités (davantage en Inde et au Japon qu’en Chine par exemple). C’est d’ailleurs toute la complexité de l’Asie ! Le manager Français est vu par les collaborateurs locaux comme professionnel, bosseur, très investi et 14 pragmatique (comparé à nos confrères allemands ou anglais plus procéduriers), mais aussi arrogant et individualiste (le manque d’esprit collectif pouvant être un problème en Chine). D’un point de vue gestion d’équipe, si la confrontation des idées en réunion est habituelle et appréciée en France, elle est très difficile en Asie du Nord où la hiérarchie est prédominante. Il faut intégrer la notion de « face » : les collaborateurs ne vont pas contrer les arguments de leur hiérarchie en réunion devant leurs collègues ! Il est donc préférable de rencontrer les collaborateurs en one to one pour recueillir leurs avis, ils s’exprimeront plus librement. Seules les réunions top down sont efficaces, ce qui a le mérite de limiter le phénomène de réunionite ! En Asie du Sud Est, les collaborateurs peuvent s’exprimer plus librement car les pays sont encore jeunes et le niveau d’éducation est moins élevé ; de même qu’à Hong Kong, très occidentalisé, les différences sont moindres. Il est nécessaire dans ce contexte d’être un caméléon, afin d’adapter son management à chaque pays.

C'est un véritable avantage d’être un Français issu de la maison mère, gage de neutralité, et pouvant endosser un rôle de pacificateur.

 

Est-ce confortable de manager des équipes d’une autre culture pour un Français ?

Avant toute chose, il est essentiel d’envoyer en expatriation un manager qui possède déjà de solides qualités de leadership, et pas seulement un bon technicien ou expert. Une dimension humaine forte est fondamentale pour pouvoir s’adapter localement et embarquer les personnes avec vous. En Asie, les locaux sont en général plutôt contents d’avoir un manager régional étranger. En effet, l’empreinte culturelle est si forte qu’elle génère un climat de compétition entre pays (d’ailleurs « l’Asie » n’existe pas en tant que telle pour eux). Dans ces conditions, un manager issu d’un de ces pays ne pourra pas assurer une cohésion au niveau régional. C’est donc un véritable avantage d’être un Français issu de la maison mère, gage de neutralité, et pouvant endosser un rôle de pacificateur. Cela se distingue néanmoins selon les métiers : si un poste en Finance, Marketing ou Supply chain peut être tenu par un expatrié français, on préfèrera avoir un manager local pour les fonctions Ventes et RH afin de répondre au mieux aux spécificités de chaque pays.

 

Est-ce que les équipes fonctionnent différemment ? 

Du fait de leurs disparités culturelles, les comportements sont évidemment différents. Le psychologue Geert Hofstede a établi une échelle pour classer les pays selon 5 critères : la distance par rapport au pouvoir, l’individualisme vs collectivisme, la masculinité vs féminité, l’évitement de l’incertitude et l’orientation à long terme. Que ce soit sur le rapport au temps, la proximité ou encore l’esprit collectif, les divergences sont importantes entre la France et les pays asiatiques (et même entre eux).  D'un point de vue managérial, la question est de savoir si on croit davantage aux cultures locales ou à la culture de l'entreprise.

 

Qui va gagner le match : la culture du pays ou la culture de l'entreprise?

 

Es-tu obligé de t'adapter à chaque culture ou est-ce que la culture de ton entreprise arrive à transcender ces différences?

J'ai pu constater que si la culture corporate est faible, mal définie ou mal partagée, on se retrouve plus à la merci des spécificités localeset  il faudra « faire dans le chirurgical » pour arriver à ses fins. Chez Pernod Ricard, la dimension multiculturelle est bien vécue car le groupe sait bien intégrer les cultures de chaque pays. Pour autant, les valeurs de l’entreprise sont fortes et donc partagées dans le monde entier. La convivialité, valeur phare de Pernod Ricard, permet habilement d’amener tous les pays vers plus de proximité – avec les équipes, avec les clients - et de les rapprocher ainsi de la culture d’entreprise. Le recrutement des équipes locales est donc clé : chez Pernod Ricard, il faudra savoir trouver les Japonais les plus conviviaux, les Thaïlandais les plus rigoureux…in fine, des personnalités qui collent au mieux avec la culture du groupe.

 

Quel rôle jouent les conditions économiques sur le mode de leadership ?

En Asie, le marché de l’emploi est complètement déséquilibré puisqu’il y a des jobs partout. Qui plus est, la loyauté envers son employeur n’existe pas : les collaborateurs quittent facilement une entreprise pour une autre (hormis au Japon). Enfin, ces derniers ont un rapport à l’argent particulier : ils sont pressés de gagner leur vie très vite et d’obtenir un grade élevé, générant une inflation des titres (la fameuse culture de la « face »). Face à l’arrogance réelle ou perçue des candidats, les employeurs doivent éduquer leurs managers pour attirer et surtout retenir les talents en renforçant les actions pour générer de l’engagement dans les équipes. Malheureusement, on peut essayer de les retenir avec de l’argent, mais cela ne suffira pas à moyen ou long terme et c’est très inflationniste ! C’est là que le leadership est fondamental en Asie : il faut être doté d’un certain charisme et d’une très bonne capacité à influencer les autres, car ces derniers ne viennent pas naturellement vers vous. On dit souvent que « On rejoint une entreprise, on quitte un manager ». Il ne s’agit donc pas de retenir ses collaborateurs, mais de leur donner envie de rester. Et cela ne peut passer que par l’engagement !

 

As-tu des conseils à partager pour nos alumni souhaitant s’expatrier ?

S’expatrier n’est pas une fin en soi. Il faut le faire si cela fait sens avec votre projet professionnel, dans une entreprise que vous aimez bien et que la culture du pays vous parle. Et être en phase avec votre situation personnelle également : la famille étant souvent impliquée, il faut s’assurer que conjoint et enfants s’y sentent bien, car c’est un nouveau style de vie à adopter. Il y a en général 2 moments-clés pour partir : soit tout de suite une fois diplômé, soit quand cela s’inscrit dans un projet de votre entreprise. Cela peut arriver à un moment où on ne s’y attend pas.

 

Le cadeau, c’est de partir

 

Me concernant, l’expatriation n’a jamais été un objectif en soi, même si j’aimais bien l’international. Et puis un jour, un train est passé : j’avais 45 ans, mes enfants ado, pas forcément le bon timing et on l’a fait ! Et ça a été 10 années incroyablement riches, pour eux aussi, même si le départ a été dur ; on en est revenus transformés. Autre conseil : ne pas voir cela comme un tremplin pour un « cadeau » en retour : le cadeau c’est de partir ! Souvent les retours sont synonymes de blues, car les expatriés ne se sentent pas assez valorisés auprès de leurs collègues qui sont restés. Il est essentiel de ne pas rentrer dans ce genre de motivation et le faire pour l’expérience intrinsèquement… et surtout la vivre pleinement !

 

Auteur

Le digital est depuis plus de 10 ans le fil conducteur de mon parcours professionnel : j’ai ainsi développé mon expertise dans les métiers du Marketing, de la Communication et des Ressources Humaines au sein de grands groupes industriels.

Je peux vous conseiller et vous accompagner sur les sujets suivants :
• Marketing digital : online & retail media, CRM, stratégie data, sites web, réseaux sociaux, brand content.
• Ressources Humaines : marque employeur, inbound recruiting, projets web (site carrière, ATS), recrutement (CV et LM, conduite d’entretien).
• Transformation digitale : conduite du changement et montée en compétence des équipes.

Basée à Toulouse, vous pouvez me contacter au préalable par email. Je suis disponible le weekend ou le soir en semaine. Voir l’autre publication de l’auteur(trice)

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