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02 juin 2022

Témoignage d’un Ukrainien en France

Yevgeniy Solovyov 
TBS 2008
Market activity analyst, SOCIÉTÉ GÉNÉRALE CIB

 

À Odessa, nous étions loin de ce conflit larvé, commencé en 2014. Je ne croyais pas à la guerre.

 

Quel est ton parcours ? Ton lien avec l’école ?

Je suis ukrainien, j’ai 44 ans. J’ai passé 22 ans en Ukraine, puis 22 ans en France. J’ai un parcours plutôt atypique. J’ai fait mes études supérieures à Odessa, en Ukraine, en sciences criminelles puis j’ai eu l’occasion de poursuivre mes études dans le même domaine à la faculté de droit de Toulouse. Cela m’a permis d’apprendre le français. J’ai poursuivi avec un DEA en sciences criminelles et thèse en criminologie sur les entreprises victimes de la criminalité. Mon objectif professionnel à l’époque était de m’orienter vers la gestion des risques en entreprises. L’Ecole de commerce était un moyen d’y arriver. J’ai fait la rencontre d’un professeur charismatique (Nicolas Nalpas, finance) que je connaissais avant mon entrée à TBS de 2006 à 2008, via le concours passerelle (2 ans d’école en PGE). Mon intérêt s’est vite porté vers la finance. Ce professeur m’a transmis l’envie d’exercer dans ce secteur. Et je tiens à lui rendre hommage par cet interview.

 

Mes premières expériences en France et en Grande-Bretagne

J’ai commencé par un stage d’assistant trading sur actions chez HSBC. Suite à la crise de 2008-2009 de Lehman Brothers, j’ai été contraint de poursuivre en stage vers du back office à la Société Générale. En 2010, j’ai rejoint CACIB (Crédit Agricole) sur la partie juridique des produits de finance de marché. Ce poste m’a permis d’obtenir la nationalité française.

En parallèle en 2011, je me suis mis à mon compte sur la vente en ligne d’appareils photos, activité bien plus rémunératrice que mon poste en banque. J’ai ensuite essayé de m’installer en Angleterre mais finalement monté une entreprise dans l’immobilier de retour à Paris 

À la suite de l’invasion de la Crimée en 2014, mon activité s’est arrêtée en raison de l’interdiction de sortie des capitaux russes hors de Russie (réponse aux sanctions occidentales pour éviter la fuite des capitaux russes).La même année j’ai intégré le middle-office de Lyxor (Société Générale), puis au bout de 4 ans, dans le cadre d’une mobilité interne j’ai rejoins une équipe d’analystes de risque de marché de la SG. Et depuis quelques mois, je manage cette équipe.

Comment analyses-tu aujourd’hui le conflit actuel ?

Pour moi, la genèse du conflit date de 2014, c’est le point de départ. L’Ukraine est un pays particulier avec assez peu de périodes d’indépendance dans son histoire. La mentalité de nomades cosaques est ancrée dans la mémoire collective. Nous avons gardé de ces nomades l’esprit de liberté. La liberté d’opinion est primordiale pour nous. Par exemple, nous avons choisi un président qui était un comique initialement mais c’est notre choix, c’est la liberté, nous l’assumons et nous en sommes fiers.

Chez nous on appelle les régions séparatistes de Lougansk et Donetsk «LouganDon», en faisant un jeu de mots avec « gandon » signifiant « capote pourri » en français. Nous n’avons pas d’affinités avec eux. Personnellement, ces dernières années, j’aurais été plutôt centriste (pas activiste, ni militant) par rapport au séparatisme de ces régions. Concernant le bataillon d’Azov- j’ai un cousin éloigné qui en fait partie -, ils sont nationalistes mais veulent défendre le pays. Ils sont en 1 ère ligne et je leur en suis reconnaissant malgré leur nationalisme. On pourrait les comparer à un militaire qui travaillerait pour l’armée en France. Ce sont des gens nécessaires. Je me rendais souvent en Ukraine ces dernières années (j’étais marié à une Ukrainienne). A Odessa, nous étions éloignés de ce conflit larvé qui avait commencé en 2014. Je ne croyais alors pas à la guerre.

Je suis très sceptique sur la stratégie de Poutine : il envahit l’Ukraine mais il n’en a aucune vision à long terme. Il est déconnecté de la réalité du terrain. Par exemple, il pensait qu’une attaque en 3 jours suffirait, il est qui plus est, mal conseillé. La propagande médiatique russe se développe avec les idées de Poutine. Pour l’avenir, je suis optimiste, c’est ma nature. J’ai été victime d’une forme d’apathie au début du conflit car j’étais surpris donc je me suis prostré dans le silence et l’angoisse. Aujourd’hui, j’ai pris du recul et j’en parle plus facilement.

Comment as-tu vécu personnellement ces premières semaines de guerre ?

J’ai d’abord été victime d’une forme d’apathie. J’étais surpris et me suis prostré dans le silence et l’angoisse. Aujourd’hui, j’en parle plus facilement. Je suis optimiste de nature. Cinq de mes proches vivaient à Odessa, à 100 km de Mykolayiv, la ligne de front.

 

La guerre a créé une nouvelle unité dans le pays. Zelensky est adulé pour son courage et sera réélu.

 

Ma sœur est partie le 1er jour en voiture vers l’Ouest, à la frontière hongroise. Elle est passée par Budapest et vit à Londres maintenant chez ma mère qui y réside et qui est venue la chercher. Son mari est resté en Ukraine. Il y a beaucoup de bénévoles aux frontières, notamment des étrangers. Mon père est venu à Paris en traversant à pied la frontière avec la Moldavie. Il a passé une semaine dans les camps de réfugiés de la Croix rouge en Roumanie.

J’ai conservé beaucoup d’amis sur place mais plutôt à Odessa (1 million d’habitants) ville épargnée par le conflit pour l’instant. (article rédigé le 1 er avril 2022 NDLR).

Je suis touché par la générosité du peuple français, par leurs actions individuelles et ponctuelles.

 

Pourquoi envahir un pays frère ?

 

Comment vois-tu évoluer le conflit ?

Pour l’avenir, l’Ukraine va se reconstruire et je suis positif car la guerre a amené au moins l’unité du pays, chose qui n’existait pas avant, avec de fortes divisions entre pro et anti russes. Zelensky est adulé et sera réélu. C’est le De Gaulle des temps modernes ukrainiens ! Il a fait preuve de courage en restant en Ukraine. Le peuple est uni, ils vont tout reconstruire. L’argent pour reconstruire viendra des occidentaux qui sont en partie responsables pour avoir laissé Poutine prospérer. Il y a une forte motivation du peuple, beaucoup veulent se battre.

Contrairement aux attentes, l’armée russe est en difficulté, il y a beaucoup de corruption, la logistique est en défaut et la motivation n’est pas présente : pourquoi envahir un pays frère ?L’armée ukrainienne est entrainée depuis 2014 et reçoit l’aide militaire étrangère. Il est intéressant de noter que même les villes pro-russes initialement, Kharkiv par exemple, suite à l’attaque russe, deviennent antirusses, ce qui va contribuer à l’unité du pays.

Concernant les régions séparatistes pro-russes du Dombass, j’aurais aimé qu’elles restent ukrainiennes mais de façon pragmatique, autant s’en séparer car les habitants veulent rester russes et cela génèrera de la division in-fine.

 

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