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02 juin 2022

Leadership en Russie, créer une forme d’osmose avec l’équipe

Cet entretien a été réalisé avant la guerre en Ukraine, mais depuis, le groupe Renault y a cédé toutes ses activités. Fabien Goulmy était alors directeur marketing de la marque LADA, chez Avtovaz, pour le groupe Renault.


Fabien Goulmy
TBS 1993
Directeur du Groupe Renault pour le territoire Europe de l’Est, regroupant Pologne, Tchéquie, Slovaquie, Hongrie, et les 3 Etats Baltes

 

Peux-tu nous parler de ton parcours ?


Parisien « pur jus », j’ai intégré Sup de Co Toulouse en 1990. J’ai passé dans la ville rose trois belles années, et j’y ai forgé des amitiés de toute une vie. J’ai effectué tous mes stages dans l’industrie automobile, qui me passionnait, puis intégré Renault. Je ne compte plus mes années d’ancienneté dans le groupe, au risque de prendre peur ! Je m’y suis rarement ennuyé, car j’ai eu l’occasion d’occuper des fonctions très variées en France et à l’étranger. Jusqu’à mon départ en Russie, j’ai fait des interventions régulières dans la majeure BtoB de TBS Education. Je suis divorcé et papa d’une grande fille qui passe son bac cette année.

 

Le peuple russe est porté sur l’exécution verticale, mais peu enclin naturellement à la collaboration transversale.

 

Et de ton activité en Russie ?

Je suis parti début 2018 comme Directeur Marketing de LADA, dont le groupe Renault détient la majorité des parts. Je devais mettre en place les standards marketing en vigueur dans le groupe. C’était à la fois simple — j’avais effectué mes précédentes fonctions dans les différents métiers du marketing — et compliqué : on partait vraiment de loin chez LADA. Je pilote aujourd’hui la construction des gammes commerciales, les prix, la stratégie de marque, la publicité et le digital. L’usine et l’essentiel des bureaux sont à Togliatti, à 1 000 km à l’est de Moscou. Je partage mon temps entre la capitale et cette charmante ville industrielle de 700 000 âmes au bord de la Volga.

Quelle est ta définition personnelle du leadership ?

Pour moi, c’est la capacité à entraîner ses collaborateurs dans la vision que l’on a de sa mission, les faire adhérer aux valeurs qui nous animent. Donner un sens à leur travail.

Cela signifie quoi, cela se manifeste comment pour toi ?

Du leadership résulte l’efficacité du travail des collaborateurs qui sont sous l’influence hiérarchique ou non d’ailleurs, de celui qui l’exerce. Je pense qu’un leader cherche aussi à s’entourer de personnes qui partagent ses valeurs, sa déontologie.

En quoi est-ce différent d’être un manager en Russie ?

Un leader doit s’appuyer sur les valeurs et les caractéristiques singulières du peuple où il exerce son leadership. Les recettes du leadership sont probablement différentes selon que l’on travaille au Japon, en Argentine, en Allemagne ou en Russie. Il doit y avoir des points communs, la clarté d’expression, la capacité de conviction, mais également des subtilités propres à chaque zone géographique. Sans caricature, je peux dire aujourd’hui d’expérience que le peuple russe est globalement fier. Il est dévoué au chef à partir du moment où il le respecte. Il est porté sur l’exécution verticale, mais peu enclin naturellement à la collaboration transversale…

Aurais-tu un exemple ou une anecdote pour l’illustrer ?

Lorsqu’on lance un véhicule, on réunit dans les mois qui précèdent les différents métiers concernés : presse, produit, marketing, formation, digital, logistique… pour coordonner les actions. Chez LADA, chaque métier travaillait seul, jusqu’à la dernière semaine où seule une grande débauche d’énergie permettaient de recoller les pièces du puzzle, générant un stress énorme. J’ai donc réuni les métiers pour réfléchir ensemble aux bienfaits de l’anticipation, afin d’obtenir un aval collectif sur la nouvelle organisation à mettre en place. Peine perdue, ils s’exprimaient peu et en fin de séminaire me demandaient ce qu’ils devaient faire. Ils voulaient un ordre clair, donné avec conviction. Ensuite, ils se sont adaptés et constatant les bienfaits du système, l’ont reproduit spontanément.

Est-ce que c’est un plus d’être étranger pour manager en Russie ? Ou bien est-ce davantage un handicap d’être issu d’une autre culture ?

Il suffit d’aborder les choses avec une profonde humilité, ce qui commence par faire l’effort d’apprendre la langue et de la pratiquer avec eux. Même avec une maîtrise basique, c’est un signe d’intérêt et de respect. En revanche, il vaut mieux éviter de parler politique.

 

Faire l’effort d’apprendre la langue
et de la pratiquer avec eux.

 

Est-ce confortable en Russie de manager des équipes russes pour un français ?

L’esprit français est assez proche de l’esprit russe. Notre convivialité favorise les relations interpersonnelles. La littérature, la musique, l’histoire ont mêlé nos deux nations depuis des siècles. Les Russes admirent l’art de vivre Français, qui allie raffinement et convivialité. Je m’en aperçois lors des recrutements, le fait d’être une entreprise française est un plus par rapport aux entreprises coréennes, chinoises ou même allemandes. La France fait rêver et notre gestion des ressources humaines est plus structurée avec des entretiens d’évaluation, des plans de carrière, des formations. La place accordée aux femmes dans nos entreprises, calées sur le modèle anglo-saxonnes tendant vers la parité, est aussi quelque chose qui peut les motiver. Elles sont souvent moins bien valorisées à compétences égales dans les compagnies russes ou asiatiques notamment.

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