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02 juin 2022

Leadership au Québec, être plus coach que capitaine

Jean-Christophe dirige aujourd’hui la Maison Birks, un acteur majeur de la bijouterie et de l’horlogerie au Canada et aux Etats-Unis. Son parcours est brillant comme un pur diamant. Entré chez Cartier pour un stage de fin d’études chez TBS Education, il y consacre les seize premières années de sa carrière dont quatre années passées à Londres où il obtient un MBA de la London Business School. Il quitte Cartier en 2004, alors qu’il en est le directeur général, pour diriger la très belle Maison Boucheron jusqu’en 2011. Jusqu’à ce que les canadiens Birks lui fassent traverser l’Atlantique pour un voyage qui dure depuis onze ans. Ce qui éclaire particulièrement son témoignage restent à mon avis sa gentillesse et sa modestie qui ont sans aucun doute contribué à la force de son leadership. Et à ce joli parcours.


Jean-Christophe Bedos
TBS 1987

Président et chef de la direction de BIRKS Group Inc.

 

 

Le luxe est bien sûr une activité très marquée France. Est-ce que tu penses que BRIKS t’as aussi choisi pour cette
« French Touch » ?

Oui bien sûr. Dans le luxe, la french touch est plus qu’un style ou une image, c’est un véritable écosystème qui n’appartient pas seulement aux entreprises du secteur. Ici, toute une chaîne de savoir-faire et de connaissances se déploie autour du luxe : les artisans bien sûr, les acheteurs de matières premières, la mode, la presse et jusqu’au grand public car même s’ils n’achètent pas, les français comprennent vraiment bien ce qu’est le luxe. Il y a en France de très grands talents, des savoir-faire à protéger, des ateliers d’art hors du commun donc oui, c’est bien cette french touch que Birks recherchait pour se développer et créer une marque de bijoux en leur nom. Même si cela existe ailleurs bien sûr. À New-York par exemple, contrairement au Canada, on trouve aussi un écosystème du luxe.

Quelles sont les particularités du leadership tel que tu le vois s’exercer au Canada ?

Il y a d’énormes différences entre les modes de leadership en France, au Canada et aux États-Unis. Elles tiennent en partie aux caractères communs que l’on trouve dans la population, à la façon qu’ont les Canadiens d’échanger et de vivre ensemble. Pour le traduire simplement, je dirais que les Canadiens sont pleins de gentillesse et qu’ils sont généreux. Ces caractères s’expliquent aussi par l’histoire qu’ils partagent et qui est différente de celles des pays du vieux continent. Le Canada est un pays d’immigrations beaucoup plus récentes que nous. Et le Québec a lui aussi un itinéraire particulier. Il s’est vraiment construit et continue de se construire autour de communautés francophones.

 

Les Québécois sont très attachés à la francophonie, à la langue française. Pour un Français comme moi qui s’y est installé, il a fallu comprendre ce que cela signifiait et ne pas confondre francophone et français. Car cela n’a rien à voir pour eux. Ils n’utilisent pas la langue française comme un emprunt, elle leur appartient. La deuxième chose à retenir, c’est que les Français sont accueillis avec une certaine méfiance. On les soupçonne d’être un peu méprisants, arrogants. Il faut déjouer cela en arrivant là-bas, le prendre en compte dans les rapports qu’on noue avec les gens.

 

Le Québec a lui aussi un itinéraire particulier. Il s’est vraiment construit et continue de se construire autour de communautés francophones.

 

On dit souvent qu’au Québec les gens parlent trois langues : le français, l’anglais et leur langue native car il y a une immigration vraiment cosmopolite qui a créé un kaléidoscope culturel. Cela en dit long sur la façon dont les gens s’y intègrent. C’est très différent des États-Unis par exemple, où en arrivant les immigrants ont désiré devenir des américains et pour beaucoup ont délibérément abandonné leur langue natale. Ici, il faut apprendre à parler avec des gens qui revendiquent d’être pluriels comme un trait d’identité.

Si tu devais comparer tes expériences en France et au Canada ?

Les élites françaises sont très hiérarchisées. En France on est identifié selon ses études, les diplômes sont classés, il y a une culture des corps de l’Etat, on met en avant la méritocratie. Finalement, le leadership reste très imprégné de ces codes. Les chefs d’entreprises sont souvent peu accessibles.

Au Canada, plus que l’égalité, on revendique le droit d’être ce que l’on est.

 

Au Canada, les gens sont moins assignés à une position, les différentes classes se côtoient et parlent plutôt la même langue. Les relations sont plus diversifiées et plus inclusives. La société est plus ouverte et cela se ressent très fortement dans le management des relations humaines. C’est finalement paradoxal. En France on reste encore largement attaché à une approche universaliste de la société avec une devise de la République qui met fortement en avant l’égalité des droits. Alors on éprouve moins la nécessité d’inclusion. Peut-être que pour inclure quelque chose ou quelqu’un, il faut identifier qu’il n’est pas déjà à l’intérieur !

Alors qu’au Canada, plus que l’égalité, on revendique le droit d’être ce que l’on est. Les individus aspirent peut-être moins aux droits partagés par tous et qui seraient décidés par d’autres plutôt qu’à la reconnaissance de leurs propres spécificités et du droit de les voir respectées. Cela conduit naturellement à une autre approche du management qui amène à renforcer la diversité et l’inclusion. En tant que manager il faut donc à apprendre à adapter ta perception profonde des rapports qu’entretiennent les gens dans et avec l’entreprise.

 

Pour faire travailler les gens ensemble dans ce contexte sociétal, l’étape essentielle c’est bien de les comprendre.

 

J’ai d’ailleurs mis en place de nombreux cycles de formation diversité et inclusion. Cela répondait à une attente forte car toute l’Amérique du Nord est traversée par les sujets des minorités ethniques, du racisme, des discriminations, des religions. Cela appelle naturellement des réponses en termes de management comme en termes de leadership. Cela conduit à une approche de l’écoute plus que de l’autorité. Comprendre la personne face à toi parce qu’elle attend que tu respectes ce qu’elle est. Pour faire travailler les gens ensemble dans ce contexte sociétal, l’étape essentielle c’est bien de les comprendre. Le leadership doit intégrer plus de diplomatie, de collaboratif. On est plus un coach qu’un capitaine.

Est-ce que les profils de dirigeants sont différents ?

Oui. On est loin ici du modèle de leadership exercé dans les grands groupes de luxe français que je connais où le grand patron a énormément d’autorité. On passe le plus souvent par des modes collaboratifs. Chacun évite la confrontation. Ça peut d’ailleurs parfois être dangereux pour le management car ce rejet très ancré de la contestation ou de la prise de position comme source potentielle de conflit, que l’on veut à tout prix éviter, empêche parfois les difficultés réelles de remonter et d’être tout simplement exprimées. Ce qui est paradoxal puisque la hiérarchie est beaucoup plus accessible et la société plus ouverte ! Cela dissimule parfois des incompréhensions. Mais malgré ce risque, c’est un mode de management agréable, qui permet d’avancer sereinement, collectivement.

 

Les conditions de plein emploi au Canada entrent vraiment dans l’équation du manager.

 

Quel rôle jouent les conditions économiques dans le style de leadership ?

C’est un facteur très important. Ce mode de management est aussi favorisé par une fluidité et une mobilité de l’emploi qui fait que les gens bougent plus facilement. Cette souplesse évite les raidissements et les conflits. Et là, les conditions de plein emploi au Canada entrent vraiment dans l’équation du manager. Ne serait-ce que pour le recrutement. Les candidats, jusqu’à la pandémie qui a changé les choses, avaient le marché de l’emploi en leur faveur. Cela détend naturellement les relations sociales en leur faveur et cela influent sur le management des équipes C’est d’ailleurs une constante dans les relations sociales. Tout le monde est plus accessible ici. Les grands patrons, les politiques, les artistes. Les cercles sont plus ouverts. Il y a aussi l’impact des dîners de charité organisés par toutes les Fondations de toutes les institutions canadiennes. La philanthropie est l’une des composantes majeures de la société civile et du tissu social en Amérique du Nord. Si tu veux faire partie du groupe et être accepté, il faut en adopter les règles.

 

Connaître l’histoire, la culture locale, tout ça est indispensable pour appréhender les gens, les comprendre.

 

Est-ce que c’est un plus de connaître d’autres cultures pour manager au Canada ou ailleurs ?

C’est indispensable de connaître d’autres cultures. Connaître les langues de l’intérieur, comme les gens les parlent. Connaître l’histoire, la culture locale, tout ça est indispensable pour appréhender les gens, les comprendre. Un leadership qui s’exprime à travers plusieurs prismes, plusieurs cultures c’est un atout. Même quand je vivais à Paris, je voyageais beaucoup. Dans le cadre de mes responsabilités chez Boucheron, je me rendais souvent au Japon, en Chine, en Ukraine, en Russie. En réalité je crois que depuis l’échange à l’École avec la Trent University de Nottingham ce plaisir et ce goût pour ailleurs me sont restés ! J’aime vivre le voyage de l’intérieur en prenant le temps de connaître les cultures que je rencontre, en maîtrisant la langue, le quotidien en créant de vrais liens…
J’ai toujours aimé en apprendre plus sur les pays où je travaillais et je pense que c’est aussi passionnant qu’utile pour l’entreprise.

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